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La faucheuse
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Épisode 3
Épisode 4
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Épisode 4
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Une petite ambiance ?
Épisode 4
S
ous le magma, je reste allongé un instant. Des tonnes forcent sur mon alliage. Ma vue
est couverte, noire. Et à l’endroit de ma jambe gauche, une cuisse carbonisée, détruite par
l’explosion. Chaque mouvement me demande une énergie maximale. Et je n’en ai que le
tiers à donner. Le caramel se propage sur mon corps, tente de percer. Avec ses tentacules, il
chatouille le sol, m’étouffe sous sa chape immobile ; mon instinct de survie qui hurle contre
mes tympans. Je ferme les yeux et vois le soleil. Et sous ma cage visqueuse enchauffée, j’ai
l’impression que c’est lui. Qui de ces rayons me décrit le monde, et ce que la vie devient à
ses côtés. Avec ses doigts il dessine, des toiles devenues jaunes et noires et sèches, car
plongées dans ce bain de flou, le voile éthéré d’un soleil d’un ciel bleu. Je rêve. Mais si tout
est palpable, qu’est-ce qui change quand j’ouvre les yeux ?
La réalité ?
Ces cris que j’entends, sont-ils vrais ?
Suis-je fou ?
«
Des robots
! Aspire le caramel
!
»
Proche de moi, une voix robotique qui ordonne mon dégagement. L’intonation trahit sa
véritable espèce. Un humain augmenté, un cyborg. Je profite d’être encore dissimulé pour
me transformer légèrement et adopter la forme du B3. Mais il me manque toujours une
jambe. Je ne m’étais pas rendu compte que le visqueux m’avait enseveli, et à mesure qu’ils
retirent le caramel, je retrouve les rayons. Certes assombris par d’autres nuages, mais
toujours aussi beaux. La matière s’évapore, éliminée par une étrange pompe qu’un robot
protecteur utilise. Devant moi, ils sont deux. Un cyborg et un protecteur.
Un duo qui fausse mes théories.
Me découvrant, Peter et moi, deux B3 bon pour la décharge, ils s’alarment. L’augmenté pue
l’huile. Et certaines de ses modifications ne sont pas belles à voir. Son bras armé est installé
sur un socket obsolète et la mécanique le ronge, crée des connexions sans issues jusque sa
mâchoire et sa barbe, devenue hémoglobine, rouge. Il a une armure grise, rafistolée à la
manière de son corps, dont la texture tient plus de la balle de golf que du renforcement
militaire. Criblé d’impacts, les nanorobots de l’air qui s’écrasent contre lui. Il se débat avec
l’atmosphère vivante qui tente de le contaminer. Son comparse aspire ma prison de
caramel.
«
Donne-moi ton code
!
», m’ordonne le protecteur. Mais que fait un Android conscient aux
côtés d’un augmenté qui pue le criminel. Contrairement à ce dernier, il est en relatif bon
état. On a remplacé son plastron, mais, pour son modèle de trente ans d’âge, sa carrosserie
saphir garde un attrait.
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Je réponds à son ordre : «
Assistant B3-John CCB3-17N2
».
Le protecteur affiche une mine railleuse alors qu’il me libère. Un mépris silencieux qu’il
m’inflige avec ses pupilles. Ce militaire qui se met en péril pour un pauvre B3.
Je peux à présent me relever, péniblement. Il faudra que je continue à cloche-pied, au
mieux de mes capacités. Et alors que je rassemble mes esprits, un grondement sourd se fait
entendre au fin fond de la jungle.
Ils me dévisagent, épient la carcasse de Peter sans comprendre ce que je fais ni pourquoi je
le traine. Ils n’ont pas entendu le cri de la forêt. J’ignore pourquoi je ne prends pas la
situation en main et me cantonne au camouflage et à la discrétion. Mais j’espère que me
fondre dans la masse facilitera la prise d’information. Ma quête de réponse.
Malheureusement, ma piteuse couverture n’est pas de taille dans cet environnement, pour
preuve, mon Peter inondé.
Le cyborg s’impatiente et s’écrie : «
Allons-nous-en
! Mike, rapport.
» Avant qu’il ne tourne
les talons et se mette à courir. Le protecteur Mike sonde l’environnement.
«
Toujours aucun drone en vue Chef. Formation et assemblage en cours. Formation très
élaborée chef. Yòng Wàn.
» Deux mots qui closent son rapport.
D’après mes calculs, nous sommes proches de la sortie et c’est pour ça qu’ils ont pu venir.
Nous courons rapidement et je sautille, le chef lui, fatigue de se débattre. Tous ces robots
miniatures, des moucherons affamés qui tentent de se nourrir. Il a beau avoir un masque
magnétique, son mauvais état peine à l’alimenter. Une rupture du champ aura raison de lui
en une dizaine de secondes. Si ces moustiques sentent sa peau à l’air libre, ce sera le festin
du siècle, et une douloureuse et lente agonie.
Le chemin devient de plus en plus dégagé à mesure que nous approchons la sortie. Mais le
protecteur s’inquiète et je sens ses calculs s’enliser :
«
Chef, aucune info sur les J-PC
». Sous la pluie, en course à repousser les piranhas
volants, le chef s’emporte : «
En clair Mike
! Je comprends rien, parle en clair
!
». Et le sol
semble se mettre à respirer, un vent glacial souffle des couteaux à travers les branches :
«
Les canons à caramel sont morts
!
» hurle le protecteur pour se faire entendre.
Le chef est à bout de souffle. Son lourd fusil sanglé sur son dos force sur tout son être,
inflige des tonnes sur ses cuisses et sur ses chevilles fatiguées. Il ralentit, passe en marche
soutenue alors qu’il regarde dans toutes les directions. «
Mike, tu as désactivé ces canons,
concentre-toi un peu
!
—
Ils ne sont pas désactivés chef, les arbres sont en train de mourir. Quelque chose pompe
toute l’énergie
!
».
Le cyborg se reconcentre et me regarde, me demande si je vais tenir le coup. Mais moi
aussi, je commence à peiner. Bien que motiver par l’espoir, d’une colonie, d’une issue et de
tranquillité. Ils sont venus me sauver et au moindre problème, je dérogerai à mon code et
reprendrai ma forme si cela prévient notre défaite. Je me sens perdre du poids très
étrangement. Je m’allège de quelques milligrammes. Et je comprends. Le champ
électromagnétique s’affaiblit, la gravité varie légèrement. Un titan gronde. Dans peu de
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temps, la jungle sera habitée par un monstre intelligent. Et probablement plus haut et plus
large que l’arbre le plus grand. Une bête de la taille d’une cité.
La sortie n’est plus qu’à une centaine de mètres et, devant nous se dresse une falaise sans
taille. Une montagne en Athanium pour une forteresse désolée. Un mur noir qui rend la
jungle grise colorée. Le sol, jusque là oscillant, se met à trembler. Et à trembler plus fort.
Surpris, je bascule. Et tandis que je me relève, c’est le chef qui s’écroule. Le chemin n’est
que de troncs et d’herbes mortes rendues boueuses par la pluie. Je m’approche du chef et
avec le protecteur, nous le relevons. Sous mon bras gauche, je sers Peter à nouveau, et tente
de le garder avec moi. Mais le sol jusque là de plus en plus instable, mue un parterre
sinueux en tremblement agité. Des ondes de choc se mettent à parcourir le chemin de boue.
Nous valsons comme des poupées d’enfant, ramenés à l’état de bout de matière face aux
forces de la nature. Tout le monde est à terre et, malgré mes efforts, Peter est projeté au
loin. Mike le protecteur active ses jets pour atteindre la porte. Le chef, lui, est frappé de tout
bord par le tremblement de terre, agonise au sol en se protégeant des moustiques.
Il gémit, mais Mike n’ouvre pas la porte. Je le vois marteler comme un idiot sur un digicode
éteint. Et alors qu’il tente de pirater les systèmes, il se grille en se branchant. Sans hésiter et
comme promis, je me mue en protecteur et active mes jets vers la porte.
En un instant, le système est réactivé et je faiblis. Le mur s’ouvre et la lumière de la jungle
s’éteint soudainement, plongeant l’autour dans une nuit sans fond. Je ne supporte plus
cette obscurité et me dépêche d’appeler tout le monde. Le protecteur est désorienté.
J’agrippe son épaule et le jette dans la pièce que j’ai dévoilée. Je vais au chevet du chef et
fais de même en le faisant glisser par terre. Ne manque plus que mon ami de carcasse.
Mon débris de compagnie.
Je le distingue dans des fourrées à cinq mètres et me projette dans sa direction. Alors que je
pose une main sur lui, j’entends de l’électricité. La porte qui se referme derrière moi, le
protecteur en train d’accélérer la fermeture. Peter sous mon bras, je veux me mettre en
route, mais suis stoppé. À travers la nuit, une empreinte de chaleur se dessine à six
kilomètres devant moi. Une structure en mouvement d’une envergure effroyable qui à
chaque pas, fait trembler la jungle. Derrière moi, la fente ne fait plus qu’un petit mètre, je
serai bientôt piégé. En serrant de toutes mes forces le B3, je me propulse à la vitesse du son
à l’aide de mes jets. La porte fait à peine ma taille et je m’y cogne en passant de justesse
dessous.
Je n’ai pas maitrisé ma vitesse et pars m’écraser contre le mur du fond dans un éclat.
Je suis un peu désorienté, comme assommé. La pièce se met en mouvement.
Un ascenseur vers les étages du haut.
Je me redresse assis contre le mur et observe Mike, qui me regarde en retour. Il s’arme.
«
Je prendrais bien ta jambe, lui dis-je… À moins que tu ne sois obsolète ? C’est juste pour
marcher sur deux jambes avant de trouver des pièces… correctes. D’ailleurs,
je vais te juger pour faute grave en vertu de l’article R-435.
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—
Ça c’est non-assistance à un allié pauvre merde. T’es désynchronisé ou quoi
? Allié de
mes couilles. Et je pense que je vais te prendre les réacteurs plutôt. Un juge avec des
réacteurs t’es pas con toi, hein ?
—
Ton chef sait que t’es à 8 d’autonomie ?
» Je le sens qu’il s’énerve et, inquiet, regarde
son chef, toujours par terre.
«
Je suis à 5 d’autonomie
! Je suis un protecteur
!
-5 d’autonomie c’est bien. Bon chien-chien. Vient le chien-chien.
»
C’est la goutte d’eau. Il se rue vers moi en hurlant. Je lève ma main sur son visage et le
brûle. Grille jusqu’à ses entrailles en piratant sa mémoire dont je réviserai les informations
plus tard. Son visage n’est plus qu’un creux fondu qui laisse voir son cerveau biomécanique.
Le polymère carbonisé s’étale un peu partout au sol. Je le laisse retomber. Son
deathchip
s’activera de lui-même. Il n’est plus rien.
Le chef a entendu et se relève. Je dépèce le protecteur et récupère sa jambe. Puis je me
dirige vers le cyborg et tente de le soigner comme je le peux. Il est craintif, mais mêlé
d’émotions contradictoires. Il n’a pas l’air de savoir quoi penser et il n’en a plus pour
longtemps. Alors que je répare son armure, il agrippe mon bras, m’inflige des yeux de fin de
vie. Les pupilles remplies de courage en goutte d’eau. Je sens qu’il s’accroche comme un
militaire ou comme un comédien sur un théâtre d’opérations. À ne pas être sûr qu’il va s’en
sortir, mais sans vouloir y rester. Je l’imite, sers son avant-bras en le fixant.
Alors que je sens la vie peu à peu s’évaporer de sa peau, il parle :
«
T’es un prototype, hein ? Il faut que tu prennes la forme de Mike. Ça fait des années
qu’on galère et tous les autres transgressent leur autonomie.
—
Vous êtes combien d’humains ?
—
Deux. Pour une quinzaine de robots.
»
Un ratio faible, mais tenable. Une bonne nourrice peut s’occuper de sept enfants, mais elle
ne peut pas être partout à la fois.
La porte s’ouvre et j’ignore ce qu’il se passera si le chef succombe. D’après mes bases de
données, ce n’est rien de plus qu’un chef de brigade. Mais quelques jours dans cet
environnement font vite comprendre qu’il faut être coriace.
Je me transforme en protecteur Mike et mets le chef sur mon dos. Comme d’habitude, je
prends Peter sous mon bras, et me mets en mouvement. J’ai la mémoire de Mike et me
dirige sans hésiter dans les dédales suivant un point sur ma carte qui correspondait à
l’empreinte de vie vue plus tôt. Cet étage électrisé et en mouvement.
Le chef va très mal. Son rythme cardiaque est irrégulier et des petits tremblements le
secoue. Je pense qu’il est atteint et qu’il subit en silence.
Enfin, devant moi se tient l’entrée du centre B. Une arche éteinte où autrefois se battaient
des photons en couleurs. Des clignotements mauves, jaunes et pourpres à faire cramer la
rétine qui, aujourd’hui, sont cramés tout court. Derrière l’arche éteinte, les rues du centre :
illuminées.
32
J’écarquille les yeux, j’appréhende. Dans mon esprit, j’imprime ce moment où je me sens
heureux. J’avance avec mon équipage bien attaché et observe les rangées des magasins
normaux. Sans monstres et plantes. Des étalages éclairés par des néons faibles. Blancs. On
tient en éveil des générateurs avec ce que l’on trouve et, dans chaque recoin, on a sorti les
batteries d’à peu près tout pour rediriger l’énergie ailleurs.
Au bout de la rue, un grand monument central, un building au milieu d’un rond-point. Le
palais d’administration du centre. Un bâtiment fade terne aux vraies façades et dont on voit
la matière. Contrairement aux restes, il n’a pas de panneaux publicitaires sur ses côtés et
parait dominer le centre à sa façon, montrant son importance par son originalité.
D’après ma mémoire empruntée, la rue de l’hôpital sert de base pour la petite colonie, alors
je la rejoins.
Maintenant, la rue est transformée. On y a rassemblé des composants, des bricoles diverses
pour faire comme un habitat à part. Des échoppes improvisées se dressent devant les
entrées en dur. On peut y trouver de la nourriture emballée et de gros tas d’outils qui ne
servent plus. Probablement pour en récupérer la matière première. Le bâtiment de droite
fut autrefois un hôpital pour humain. Séparé comme souvent entre une partie purement
biologique pour les maladies et autres hospitalisations, et une autre dédiée aux problèmes
biotechniques divers. De l’aile pour la psychologie à celle pour les réparations
cybernétiques, un hôpital central capable de tout. La façade de gauche, quant à elle, fait
s’étendre au loin une quantité de boutiques d’amélioration assez impressionnante. Du
spécialiste des améliorations du travail jusqu’à l’optique biotechnique, on y trouvait de tout.
Aujourd’hui, on les a pillés pour réparer les membres d’une population éteinte. Dans le rez-
de-chaussée de gauche, une baie vitrée dévoile l’allée d’un centre commercial. Et cette
façade en particulier est peinte d’un jaune néon.
Le mur extérieur rempli de panneau qui autrefois diffusait de la publicité, devenu reflets de
l’hôpital éteint. Et l’on ne discerne plus que ce jaune pavé de miroir et de vitres qui laissent
entrevoir des allées vidées. Je m’engouffre dans le rez-de-chaussée où je suis
immédiatement accueilli par un médecin. Un robot spécialisé dans la chirurgie humaine qui
se réjouit de se rendre utile. Je lui donne le corps du chef, et il s’empresse de l’installer plus
loin dans l’aile médicale improvisée, sur un pauvre lit en métal. J’ai l’impression qu’ils sont
tous là. Une petite dizaine de robots, dont deux seulement viennent du civil. Les autres sont
militaires.
Un homme dans un drap de coton pâle s’approche et me met une main sur l’épaule. Dans sa
tunique d’hôpital, je discerne le plomb, le graphène, les polymères, le sang et les cicatrices.
Sa tête est devenue noir charbon. Ses pauvres pupilles baignent dans un globe devenu vert.
Il est courant qu’à cause des couts, les gens aient recours à la modification illégale pour
satisfaire leur pulsion. Et les connexions prolifèrent et finissent par les bouffer. L’homme
prononce mon nom en regardant le chef. Un simple : «
… Mike ?
» en attente d’une bien
triste réponse.
C’est le sergent, qui se demande s’il va finir ses jours comme le dernier de son espèce :
33
«
Air à 80% de nanorobots. Le masque a tenu, mais c’était trop. Il va mourir sergent.
»
D’un côté, cela m’assure que personne ne connaitra mon identité. Mais de l’autre, la
douleur dans les yeux du sergent m’atteint et j’espère au fond que le chef mourra vite.
«
J’ai une bonne nouvelle Mike. Le canon est presque prêt.
—
Sergent. On peut prendre un moment avant de parler de ça.
—
Non. Je vous avais prévenu qu’il ne fallait pas aller dans cette putain de jungle
!
Maintenant je suis tout seul
!
»
Autour de nous, les robots s’arrêtent et nous regardent. La plupart dévisagent la carcasse de
Peter. Le reste veut me voir en morceau.
«
Nous avons trouvé un B3. Peut-être que sa mémoire peut-être utile.
—
Finissez-moi ce canon, le B3, foutez-le en pièce.
—
Mais on manque de main
! Je sais qu’il y a assez de pièces pour le réparer. On peut
tenter le coup, il a quand même survécu à la jungle
! dis-je pour tenter de sauver Peter.
»
Le sergent est fatigué et ne veut pas discuter. Il a beau le cacher, il accuse le coup. Son seul
ami ne respirera plus d’ici une heure. Il s’éclipse et me laisse en compagnie du groupe.
Je me dirige vers la cabine du chirurgien et laisse mon B3 sur un lit. Pourquoi l’ai-je forcé à
me suivre quand il fallait que je le laisse mourir
? Je l’ignore.
Le groupe m’appelle et nous devons reprendre leur projet. Dans une salle annexe, on a tout
débarrassé pour servir de hangar militaire. Ici sont gardées la plupart des bricoles qu’ils ont
récupérées et dont ils se servent pour réparer leurs équipements, armes et armures.
Une guerre a l’air de se préparer. Au centre de la pièce, une bâche a été déroulé et, dessus,
un imposant chantier pour un canon de trois mètres de large. Un examen rapide m’apprend
qu’il manque une pièce cruciale et d’après la mémoire de Mike, c’est le déclencheur. Malgré
son nom, ça ne correspond pas à l’allumage, mais plus à un composant qui fait la liaison
entre les moteurs auxiliaires et le carburant.
Avec ce canon, ils entreprennent de marcher vers le sud pour atteindre la Cloison, un autre
centre, responsable des boucliers.
Ils comptent exploser les boucliers à l’aide de ce canon et s’échapper d’ici.
Beaucoup de choses ne tiennent pas dans la conception, mais ce n’est pas mon rôle de les
aider.
«
Mike. Le chef ?
» Me demande un robot furtif alors que nous préparons les outils.
«
— Deux heures quarante avant mort. Nanorobots et pollution des poumons. dis-je
—
Protecteur hein ?
» me répond le furtif en se moquant de moi.
Les autres robots rigolent à plein poumon. C’est le début d’une rixe. Mais je n’en ai pas
envie. Je me retourne et remplis ma tâche. Établis divers calculs pour vérifier le bon
déroulement du chantier.
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Même jour
Quelques heures après, le sergent est revenu vers nous pour aller diner. J’avais hâte de
découvrir la nourriture.
Au menu, un grand silence et de la pomme de terre au sucre. Sur le coin de nos barquettes,
il y avait même un peu de viandes à la sauce tomate. Puis un verre d’eau. Si j’écris ce
compte-rendu une heure plus tard, c’est parce que je n’ai pas réussi à me concentrer.
Malgré les odeurs du centre commercial désert à l’air plastifié, les mauvaises huiles
cybernétiques, la poussière qui s’infiltrent dans notre nez, je ne sentais que ma barquette.
C’était pour moi la plus belle chose qui puisse m’arriver. À tel point que je me sentais tout
étrange à l’intérieur. Pour une chose si banale, quelque chose en moi se produisait. Un
courant d’air chaud. Des frissons. Et à la première bouchée, j’ai vu le futur. Je me suis vu
rentrer chez moi alors même que je n’ai pas de maison. Je me suis vu être congratulé par
mon créateur avec à mes côtés, des poupées synthétiques qui vantaient mes succès.
Puis je me suis mis à dévorer. Le sucre, la sauce, le gras de la viande, la pomme de terre. Un
plat de frigos vides. Le meilleur qu’il soit.
Après ça, le sergent a voulu que l’on aille se coucher alors, j’ai suivi la mémoire et suis allé
dans mes appartements. Une ancienne boutique de vêtement désaffecté. Une pièce de taille
moyenne de murs blancs, banal. Des portants repoussés sur les côtés pour former les murs
d’un palace. Sur dix mètres carrés, un grand tapis sur lequel on a mis un sac de couchage
avec une télé comme tête de lit.
Au moment où j’écris, je viens à peine de m’installer. Je fais craquer mes joints comme un
humain fatigué et ris de ça. Je prends la télé et la mets sur ma gauche comme une table de
chevet, et l’observe. Rien ne se passe quand on appuie sur ses boutons, alors je l’alimente de
mon énergie. Sans surprise, la neige occupe l’écran sur une étendue de neige.
Mais ça ne me gêne pas. Je ne sais pas s’il est prudent de dormir, mais j’en ai envie.
Et alors que j’observe la neige, j’ai l’impression que mon cauchemar est terminé.
Je commence à fermer les paupières en espérant plutôt rêver.
Jour 1102
Aujourd’hui est important. Nous allons devoir récupérer la pièce maitresse du canon. Pour
ce faire, il ne suffit que d’atteindre une cité du terminal nord, dont le sous-sol renferme une
importante usine à composant. Au réveil, le chef était toujours vivant, mais ne peut plus
bouger : le sergent ne se résout pas à le laisser partir. Perfusé et cloué au lit, nous le laissons
au repos et partons en expédition.
35
«
Mike, avec le reste de l’équipe, on se posait une question, t’es bien protecteur ?
»
Et la colonie, hilare de plus bel. Ils me demandent des comptes, pourquoi le chef va-t-il
mourir alors qu’il était sous ma protection. Je m’arrête et m’approche de ce vieux modèle
condescendant en me retenant tout de fois de poser la main sur lui :
«
Ton modèle aurait survécu trois minutes dans la jungle. Le chef est encore en vie après
un quart d’heure. Tu veux qu’on en parle ?
»
Et sur ma tempe s’abat un violent coup de coude. Le sergent.
«
Travis, tu fermes ta gueule. Le prochain, je le débranche. Oui Mike est un incapable. On
est tous obsolètes ici d’accord ?! On a compris. Et vous savez quoi ? Demain, on se barre.
Seulement si vous arrêtez de faire les putains de singe. Le prochain qui parle reste ici. »
Après ces paroles, même les mouches ne volent plus.
La moitié des survivants nous accompagnent en expédition. Travis, un militaire
Bélier
de
pointe, un pilote du même modèle, et trois autres protecteurs d’un mauvais modèle, connu
pour leurs défaillances. Je reste en retrait avec le sergent et nous arrivons à la cité des
Trois-Roses.
Presque comme un choc, je remarque que celle-ci n’a rien à voir avec la cité
«
Henry
». La
plupart des immeubles dépassent à peine cinq étages et le plus grand semble en faire une
quinzaine. Bien qu’il fasse nuit, les lampadaires sont tous allumés et diffusent de pauvres
lueurs sur une étendue sinistre. Nous voguons en alerte dans des rues silencieuses au
rythme du sergent et résonnons. Il nous indique le plus grand bâtiment. C’était un
laboratoire qui renferme le composant convoité. Et alors que j’étais concentré sur la route,
un cri survient. Le sergent lève son fusil et le reste du groupe l’imite. Fébriles, nous entrons
dans le boulevard qui mène tout droit au labo. Le pilote s’exprime : «
Je pars devant
».
En course, il nous dépasse et le sergent ordonne notre arrêt. Le cri que nous avons entendu
était une alerte :
«
Des miroirs ? Demande le sergent.
—
Oui
», répond Travis.
Nous sommes repérés.
Alors que les robots passent de l’alerte au mode combat, nos yeux restent rivés sur
l’éclaireur. Il a atteint le labo à quelque 200 mètres de nous. Il regarde à droite et à gauche
et presque imperceptible, un courant d’air se lève. Les nanorobots voraces. Le sergent est
équipé et ne tremble pas, mais l’éclaireur au loin reste figé. Il a senti quelque chose.
Sans prévenir, il s’engouffre dans une rue parallèle et disparaît de notre vision.
«
Un appât
!
» S’écrie le sergent.
Nous activons tous nos jets et tous partent devant, secourir le piégé. Je reste au rythme du
sergent et nous décollons. J’entends de l’aluminium qui se tord, des éclats dans toutes les
directions. Pourtant, il ne semble y avoir aucun organisme dans les parages et mes rayons X
ne révèlent rien.
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Les protecteurs qui nous devançaient tournent dans la rue pour rejoindre le pilote. Mais ce
qu’ils sentent comme des appâts sont faits pour attirer les cyborgs. Des enveloppes de
sucres. Des bombes. Et alors que la réalisation m’emplit d’effroi, une puissante détonation
vient déchirer un air jusque là immobile.
Un tir glaçant capable d’anéantir les plus puissants robots de l’univers.
37