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La faucheuse
Épisode 1
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Épisode 3
Épisode 4
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Épisode 1
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Une petite ambiance ?
Épisode 1
n bruit sourd, une sirène imperceptible. La capsule s’ouvre. Je prends le temps et mets
trois nanosecondes à me réveiller. Un courant d’air frais s’engouffre dans l’habitacle. Des
cristaux glacés. Les voyants de mon abri et aucune lumière en dehors. Je fais un pas et me
tourne vers l’écran. Quatre zéros sans plus d’information. J’examine l’endroit. La rangée de
capsules de protecteurs, et des murs de titane aux lambeaux infimes laissent flotter dans
l’air des particules lourdes. Une odeur de fer aux ions suffocants. Une moiteur inquiétante
règne dans ces lieux et occupe l’obscurité environnante d’une épaisse couche de brume ;
une fumée d’eau fraiche pour humidifier un air tranquille, immobile, à -2° Celsius. Après
avoir tourné sur moi-même, sondant l’autour aux sonars, je n’entends rien. Que ce
grésillement imperceptible électrique de la seule capsule éclairée. Sans danger apparent,
j’allume mes torches et projette un faisceau au loin. J’éclaire un infini sale aux nuages
flottants. Et des silhouettes fantomatiques apparaissent dessinées à l’eau, dansent pour
occuper un espace clos et mort de vie.
Sans indicatif de mission, je succombe à la curiosité. Je me mets en tête d’explorer ce
sinistre environnement.
Jour 60
J’ai eu le temps de réfléchir pendant ma marche et profite de ma sieste pour effectuer ce
compte-rendu.
Est vite venu le temps où la pénombre m’induit un songe. Trouver la source de cette
noirceur absence de lumière. Je me suis alors redirigé pour chercher à atteindre les
générateurs. Premièrement, je n’ai croisé personne, ni rat ni objet. Je parcours des galeries
plongées dans le noir avec pour compagnon de route les éclairs des issues de secours,
combattant la grisaille avec des rayons au jaune de beurre. Je n’ai qu’un unique type
d’environnement. Une ligne de cinq mètres de large pour sept mètres de haut. Un étage de
stockage complètement vide que des filaments de plastiques occupent ici et là. J’ai atteint
des endroits plus larges au renfoncement circulaire. D’autres bien plus haut au plafond de
câbles dénudés, arrachés. Mais l’atmosphère : inchangée. Pénible.
1
Deuxièmement, j’ai subis une tentative de piratage et les lieux sensibles de mes cartes sont
à présent reclus. Je dois être certain de ne pas être en danger pour les dévoiler et avoir une
vue plus claire de mon chemin. Ce dont je suis seulement certain, c’est qu’un opportuniste
équipé a forcé ma capsule et fait buguer mon indicatif de mission. Un dispositif conçu pour
garder mon activation secrète.
Je me retrouve sans trop de buts. Alors, je cherche quelque chose. Je suis la trace des
générateurs dont j’ai déduit la localisation. Mais sans certitude. Avec une myriade de
questions à me poser pendant que je rôde.
Jour 100
J’alterne entre des phases de marche et de courses pour m’économiser en cas de problèmes.
Mais je perds patience. Du moins, c’était avant qu’au bout de cent jours, je ne tombe sur la
première chose concrète depuis mon activation.
Au mur, à plat sur une grille, un rond parfait au nanomètre près. Une substance carbonique
à l’odeur de l’ADN. De l’hémoglobine dopée qui apparait prune avec une teinte plus rosée
qu’habituellement. De la chair du même parfum attire mon regard vers le sol, et un
lambeau de chair de quelques centimètres est étalé dans la pénombre. Mes torches rivées
dessus, je ne vois plus rien. Une peau ingénieuse, miroir qui rend son examen à la lumière
impossible. Le propre de cette peau est l’éblouissement de l’adversaire. Une particularité
singulière absente de mes bases de données. J’éteins mes lampes et examine à l’aide de mes
autres sens cette œuvre d’art génétique. À l’extrémité du tissu, deux trous qui font penser à
l’utilisation d’agrafes. Les molécules autour de ces trous sont de fer classique. J’en déduis
l’utilisation d’une véritable agrafe. Une chronologie rapide me fait penser à une altercation :
un individu aurait arraché la peau de l’entité miroir pour réduire son avantage tactique.
Malheureusement, je n’ai aucune autre brique permettant d’étayer cette hypothèse. Et bien
curieusement, aucun corps ou autre bout de peau. Aucune autre molécule épargnée par l’air
d’eau.
Et alors que ma curiosité affamée se réjouissait d’une découverte, je ne suis gratifié que
d’une série de questions qui allongent la liste des centaines que je me suis déjà posés.
Je vais de question en question.
C’est alors que je me remets à marcher, me languissant de la future découverte d’un corps.
2
Jour 365
Joyeux anniversaire à moi-même ! Phrase d’humour ironique : l’environnement a beaucoup
changé, car maintenant, j’ai un an. Pour fêter cet évènement, je décide de prendre une
forme. J’ai sélectionné dans ma mémoire monsieur Li-Joseph Mnerpotukevich, le fameux
chanteur de salsa. Sa musique est entrainante.
Après m’être assis le temps de sa chanson la plus écoutée, je me remets en route.
Je n’ai pas trouvé pertinent de danser.
Jour 366
Je n’arrive pas à mettre la main sur l’origine des variations du mercure, oscillant entre -6°C
et 0°C. Je constate une nette baisse des performances dans ma jambe gauche. Des
températures irrégulières dans celle-ci dues à mon piratage. Mes matériaux sont secrets,
tout comme l’est ma conception et le pirate n’a pas pu satisfaire ses bas instincts en me
pillant mes précieux composants.
Son acharnement sur ma capsule a dû affaiblir un petit module anodin. Une dégradation
progressive est hautement probable. J’ajoute la quête de pièces à mes objectifs. Bientôt, je
trouverai un corps, une réponse.
Quelque chose.
Jour 1001
J’ai parcouru 13 339 kilomètres de couloirs éteints. Un sol plat qui défilait, un puits sans
fond à la verticale habité par les esprits des boites en plastique disparues. Et j’ai aujourd’hui
atteint le centre A – terminal 1. J’ai occupé les 635 jours précédents avec ces pensées qui
venaient pour mourir aussitôt. Des rayons furtifs envoyés par mon âme pour décorer
l’horizon. En mode automatique à espérer un réveil déclenché par un changement. Un
nouvel atome. Une nouvelle couleur que celle des issues de secours. Un couloir plus large,
plus haut…
Rien.
Je n’ai rien constaté. Rien entendu. Aucune autre empreinte sanglante, et aucun corps. Mais
le sinus mort des électrons qui gardent en vie les ampoules des issues de secours. Je suis en
économie d’énergie depuis deux-cent-deux jours malgré mes protocoles de sécurité.
3
Mon corps désespéré de me garder à température commençait à me faire mal et à
surchauffer de temps à autre. Je me suis alors contenté d’une marche à neuf kilomètres par
heure pour trois à cinq siestes mensuelles.
Je retrouve enfin une température clémente dans le terminal. 20°C. C’est alors que je vois
un panneau publicitaire éteint. Cela me comble de joie et je me dépêche d’aller me
brancher à leurs batteries. Une décharge d’adrénaline, comparable à l’euphorie
méthamphétamine, envahit mon système nerveux, et remet une étincelle dans mes circuits.
Je me recharge et écarquille les yeux. Tant de changements en si peu de temps. J’observe
les rangées de boutiques de l’accueil et leurs étages tristement sans vie. Les rangées
d’écrans publicitaires sur les façades en lambeau. Un manque d’entretien qui témoigne dans
ce lieu d’une vie d’autrefois.
J’imagine les allées bondées salies et bruyantes. Les achats par milliers d’une populace
accro. Maintenant, les boutiques désertes, les reflets du noir sur le mauve. Des salles
dérangées infestées par la flore et la faune microbiennes. Dans celle-là, des plantes qui
poussent dans les paquets de chips. Dans ces magasins mal désinfectés, des ficus de dix
mètres tirent leurs nutriments des boissons énergisantes et des sodas parfumés.
Développant d’imposantes feuilles myrtilles et verdâtres de la taille d’un enfant humain.
D’autres fleurissent à travers les enseignes, perçant les néons pour y dévoiler des bourgeons
nouveaux aux couleurs des magasins. Mais l’endroit, à l’image des galeries, reste investi
d’un voile pourpre des composants structurels. Un voile de mystère. Cet air sombre
métallique encore. Autour de moi, les appareils sont éteints. Je tire de ma batterie ses
derniers ions. La batterie Ateez à laquelle je suis branché n’alimentait même plus le
panneau. Et le shoot d’électron fait passer dans mes songes des théories sur la seule forme
de vie que j’observe. Ces plantes grasses de sucre et de sel, absorbant le maigre azote qui
flotte encore, et qui, malgré tout, subsistent. J’ai beau sonder mon environnement à l’aide
de mes torches, aucune source lumineuse ne m’apparait et ces plantes n’ont pas pu naitre
dans le noir. Je comprends, me débranche et me mets en alerte.
Là, quelque part, tapie dans l’ombre, une entité miroir se transforme en soleil pour faire
pousser des plantes. Mon examen me révèle l’unique source de chaleur de l’endroit.
Ces plantes.
Je ne trouve néanmoins aucune preuve pour étayer mon intuition. Aucune entité présente
dans les parages. Et, comme coup de masse sur mon alliage, je comprends être au point
mort. Tous les lieux ont été laissés. Tout le monde a fui, et mon activation de secours ne me
donne aucun indicatif de mission.
Aucun objectif. J’utilise mon instinct dans le vide, me remets à marcher.
En quête de réponses.
4
Jour 1010
J’ai décidé de rester plusieurs jours dans le centre. Après m’être revigoré à chaque batterie
trouvée, j’ai profité d’une cellule de prison isolée pour conduire une analyse en profondeur
de mes composants. Celle-ci a mis au jour un plus gros problème dans ma jambe gauche
que ce que je croyais. Le mauvais air, plus de deux ans de marche forcée ou bien mon
piratage, j’ignore sur quoi rejeter la faute. Ma conception étant si unique qu’elle surpasse
tous les composants militaires trouvés. Malgré les idées de rafistolages d’urgence qui me
sont apparues, mon engrenage sensible refuse de s’y risquer et un problème de régulation
semble se propager à plusieurs modules.
La raison de mon attardement ici, c’est que j’ai décidé de me pencher sur les mystères qui
me sont présentés (entre autres : la disparition d’une population de millions de personnes
et de biens, des altercations propres et mystérieuses, et des plantes nocturnes). J’ai alors
organisé mes journées en deux étapes :
1.
Plus ou moins quatre heures d’exploration quotidienne.
2.
Plus ou moins vingt heures d’attente ici et là, notamment devant les ficus (que j’ai
décidé de baptiser
Ficus snackivorus colafagius
), avec pour ambition de rencontrer les
jardiniers miroirs.
Les plantes puisent dans leurs maigres réserves d’amidon restantes et survivront encore dix-
sept jours sans lumière ni intervention extérieure.
Je considère cette attente inutile.
Voici maintenant mon compte-rendu d’exploration, dont j’ai occulté les passages
inintéressants :
Il y a trois cités reliées au terminal 1, quatre cités au terminal 2, trois cités au terminal 3 et
quatre cités au terminal 4. Je ne m’attarderais pas à les décrire chacune, ayant pour point
commun ce brutalisme suffocant dont la hauteur est difficilement estimable, de même que
leur envergure totale. Des beautés gigantesques dont des esprits géniaux ont passé une vie
à sortir de terre. Des cités vertigineuses dont on s’est inspiré des rêves pour en tirer les
plans. Toutes des défis logistiques et technologiques, des ôdes à l’âme humaine et
robotique, puisant de leurs vulnérables psychés de puissantes tours aux lueurs de diamants
et de graphène. Des blocs appuyés sur d’invincibles et imperturbables fondations qui
faisaient pâlir les chats qui en parcouraient les contours, animaux invisibles pour un
observateur au sommet. De là-haut, le sol disparait sous la couche opaque des nuages de
cendres. Ces lambeaux métalliques qui viennent tracer les nuages de ces villes, à présent
remuées de nouveau par une âme errante et avachie. La mienne, ma propre silhouette
errante et affaiblie.
Ma seule expérience digne d’être racontée fut la visite de la cité «
Henry
». 7 293
kilomètres carrés. Une ville de tour en titane dopé qui leur confère une légère teinte bleue.
Des allées pour piétons de quelques mètres de large qui trace d’interminables rues jusqu’au
loin.
5
Le ciel est à peine visible et semble reposer sur ces pylônes que l’on appelle immeuble. Des
constructions de deux-cents étages qui donnent l’impression de vouloir traverser la galaxie
en ascenseur. Imaginez l’empilement humain que ce dut être une fois chaque espace comblé
; de photos, de magazines, de réfrigérateurs et de bambins assoiffés. Les métros sans espace
à pousser son voisin pour une bulle d’air ; les magasins rangés chaque instant par des
automates i, se dépêchant de faire de la place entre chaque raz-de-marée. Et après toute
cette vie, ce bazar organisé, ils n’en restent de trace que dans des images que je m’invente
tandis que je m’efforce à mon tour de respirer.
Il m’a fallu trois heures en course pour en faire le tour. Scannant chaque cellule autrefois
occupée, chaque pièce aux rayons X, à guetter le moindre son, la moindre poussière pour
être gratifié de cette suie que mes propres pas lèvent. J’ai vu des trams aériens stoppés en
pleine course et dormant au milieu des voies, coupé du monde dans cette brume qui berce
chaque particule que je repousse dans cet endroit. Un monde sinistre, gris, morne et
inhabitable. Quand, dans ma course, une alerte survint, et déclenche mon arrêt précipité.
Je me suis arrêté totalement, debout sur mes deux jambes devant un nouveau spectacle.
Des gravats qui forment un long tapis tortueux sur un sol jusque là plat. Une randonnée
d’obstacles qui me mènent à une vision torturée.
Sur 300km carrés, une pile de 65 mètres de haut regroupant chaque objet. Chaussures,
jouets, tableaux et cafetières, d’absolument toute la cité, vidant chaque endroit de ces biens
et de ces meubles. Regroupé dans les décombres de bâtiments démolis pour créer cet
espace de collecte. Un cône monstrueux, une montagne de couleurs qui rendent le
chamarré terne. De fines molécules d’ABS et de silicone éparpillés sur chaque objet font
penser à une œuvre de robots i ménagers. N’ayant aucune capacité artistique pour la
plupart, l’hypothèse de l’œuvre d’art est vite oubliée. Mais ces robots i, dénués de toute
volonté, ne sont pas derrière ça. Ce sont les mains d’un ouvrage bien calculé. Malgré cette
conclusion, aucune raison pratique d’un tel empilement ne me vient.
Aucun évènement vécu depuis mon activation ne figure dans ma base de données. J’ai
affaire à des choses uniques. Je ne sais pas si cette précision est utile, mais certains
éléments classés que je possède, bien que me permettant d’étayer certaines hypothèses sur
les problèmes qui me sont présentés, ne me suffisent pas et ne semblent que combler un
vide frustrant. Il me manque la preuve. Et cette preuve c’est ce foutu corps sur lequel je ne
mets pas la main. Une entité miroir. Un indicatif de mission.
Je n’ai aucune mission.
Je décide d’un nouvel objectif : suivre la route des générateurs.
Je suis dans une plaisanterie.
Je me mets sur la route des générateurs.
6
Jour 1015
Je suis perdu.
J’ai suivi un raccourci et constate avec stupeur que, là où est censée se trouver une
passerelle, se trouve le néant : un gouffre jusqu’aux enfers. J’ai activé mes sonars et attends
toujours un écho.
Je ne devais pas être au bord d’une falaise mais à la séparation entre les centres A et B
reliée par des passerelles de service. Habituellement. Une plaisanterie et j’ignore pourquoi
je ne suis pas amusé. Il n’y a aucune passerelle, mais un trou farceur qui désigne au loin ce
mur de sans doute des millions de kilomètres d’envergure. Là où ce mur devrait être troué à
la manière de l’encadrure sous laquelle je me tiens, je ne vois aucun trou et mes plans ne
m’en indiquent aucun. Je finis par constater que ces passerelles ne sont simplement plus
alimentées et sont rétractées. Je tente de connecter celle sous mes pieds et y parviens.
Elle se déploie rapidement pour se coller contre l’autre mur. Je parcours un chemin
d’aluminium qui pétille, grésille de mon alimentation. Quand un effroi m’emplit. Un mur de
sécurité que je ne pourrais pas transpercer.
Dix mètres d’alliage en athanium, ce matériau qui éloigne les robots de grade militaire.
Bien que les surpassant largement en tout point, je ne suis pas dans mon état optimal,
n’arrive pas à voir au travers. Je percerais ce mur si aucune autre possibilité ne se
présentait, car j’y mettrais une énergie considérable. Il y a probablement de l’autre côté des
stocks d’armements et, bien que les systèmes de sécurité ne sont plus alimentés, je cherche
une autre option.
J’examine longuement mes cartes et au nord-ouest se trouve une véritable jonction
nommée Péage. Le néant que je m’apprête à parcourir en propulseur va être pénible. Car
mes systèmes m’indiquent que, pour empêcher ces traversées illégales (les propulseurs
valant une poignée de crédit), une insoutenable gravité est mise en place. Et l’on parle de
125 g. Soit la gravité artificielle maximale d’après l’équation d’Erton-Newbrandt.
Je pèse le pour et le contre. Le Péage me rapproche fortement de mon but et ce mur fermé,
hostile, fait tiquer mon intuition. Me fait prendre le chemin risqué.
Après m’être reprogrammé trois fois pour subir la traversée de la plus agréable des
manières, je saute.
7
Jour 1022
J’ai mis une semaine pour parcourir en propulseur les quelque 800 kilomètres qui me
séparent de la passerelle d’origine. S’exercent sur tout mon alliage une pression de 3.67
bars, suffisamment puissant pour déformer le dernier robot militaire de pointe. Je résiste et
me déforme légèrement à la manière du roseau pour absorber la contrainte, une idée déjà
présente à l’origine, mais que j’ai jugé mal optimisée et ai alors reprogrammé de meilleure
manière dans mes circuits. Ma jambe gauche tient le coup et j’ai fait jouer de la musique
dans mes haut-parleurs pour me détendre et maitriser la douleur. Ce froid cinglant qui
descend à présent en dessous des -30° et qui s’engouffre dans mes entrailles à chaque
centimètre subi.
On a vite fait d’oublier le coup de cette résistance physique à toute épreuve qui se répercute
en signaux brutaux à travers les fils. Des alertes incessantes. Pression élevée, problèmes de
régulation, recharge nécessaire, reprogrammation nécessaire, taux d’huile en baisse,
propulseurs à puissance maximale, taux de puissance trop élevé. Je teste les limites de mes
capacités et révèle les prouesses que des cerveaux de génies ont conçues on ne sait où, on
ne sait quand. Je les imagine assister à mon ballet aérien, une danse cruelle de leur œuvre
hors de prix, se torturant en l’air dans une atmosphère pensée pour la mort, avec ces
instruments réglés aux maximums pour détruire les meilleures technologies de la galaxie
tout entière, et qui, la voyant se tordre de douleur, lui crie les cernes tombants et le cœur
arrêté : «
Arrête ! Tu vas te détruire !
».
Et pourtant, me voilà qui vole depuis une semaine dans ce qui semble être une cabine de
test pour la résistance des composants. Mes jets à bout de souffle projettent dans le vide un
vacarme menaçant. Mes oreilles sont réglées si faiblement que mes propulseurs ne font plus
que le bruit d’une fusée à pleine puissance. Et j’entends enfin un son, dans cette galaxie
vide de gens et fuie par les ondes. Mon alliage, étiré sur trois mètres pour absorber les
chocs, craque de toutes ces particules de l’air. Sur mes membres, en plus des tonnes, des
grêles de Saturne que les métaux agglomèrent, et qui virevoltent à Mach 4, m’écorchent
littéralement.
Et plus je me mets en détresse, plus je pense à des champs. Ces champs présents dans mes
bases de données qui ne sont que d’herbes douces et chants d’oiseaux. Des souvenirs qui ne
m’appartiennent pas et dont je me remémore les vies passées pour oublier ces milliers de
tonnes de molécules qui forment cet air meurtri.
Qui force chaque instant, chaque seconde de chaque minute sur ma structure divine pour
l’attirer à des kilomètres en profondeur.
Je prends peur. Alors je me remémore ces champs, occupe mes pensées par des vies où je
me balade et où je chante.
Mon GPS m’indique être arrivé.
Pourtant,
Je flotte dans le néant gris.
8
D’un geste vif, j’atteins le mur qui détecte ma présence et déclenche des décharges
électriques. J’endure encore, et absorbe ces coups de lance dans ma poitrine. Sans broncher.
Focus.
Je vois un large pont actionnable qui devait autrefois former ce Péage à présent rétracté. Je
pense à l’alimenter. Mais surtout pas. Alors, je transforme mes deux bras en lames qui
pourraient réduire en morceaux n’importe quel alliage. Je scie dans le mur, je crie et tente
de percer. Quand me vint le songe que les sas de décompression situés derrière sont
désactivés. Je n’ai aucune issue que de pirater les systèmes et déployer le Péage, qui vont
d’eux-mêmes, activer les sas.
Pression élevée, recharge nécessaire, propulseurs à puissance maximale, taux de puissance
trop élevé, défaillance critique, modelage en cours. Alors que mes circuits se remodèlent et
tentent de recouvrir ma défaillance à la jambe gauche, je perds de l’énergie, le piratage me
retourne, et j’ai 125 g sur le front.
Je pense de nouveau à l’alimenter car, de toute manière, je suis déjà mort. Aucune issue ne
se présente et un remodelage en plein vol va avoir raison de moi. À chaque micron de mon
corps qui se modifie, des calculs ajustent mes propulseurs. Les électrons quittent ma
carcasse et se rejette dans d’autre fils. Annuler le remodelage c’est laisser à la pression
l’occasion de compromettre l’intérieur de ma structure. Alimenter le pont c’est prendre le
risque que je lui transmette plus d’énergie que je n’en possède.
Je fais sortir des câbles de mon corps et me connecte au pont.
Je me vide. Je me dessèche. Et alors que le pont se déploie lentement, je descends.
Mes propulseurs ne suivent pas.
Mon mécanisme d’urgence s’enclenche.
Je garde les yeux ouverts et le pont déploie ses mains, tente de m’attraper.
Je sens le sas de décompression se remettre en route. J’y suis presque et tire, donne tout ce
que je possède de volonté. Des étincelles éclatent l’aluminium que je nourri.
Et plus je donne, plus je sombre, plus je perds en altitude.
J’enrage, je rogne, mais mon mécanisme d’urgence est trop reposant.
J’ai besoin de m’éteindre et Morphée cachant le pont, me berce doucement.
J’ai besoin de me couper de cette douleur j’échoue.
Les sirènes chantent un décompte
et me font tout
oublier
3
2
1
Remodelage d’urgence terminé
9
Blackout.
10
ÉPISODE SUIVANT